top of page

Une part de sensibilité arbitre les choix de tout collectionneur quant aux oeuvres de sa collection. C’est aussi notre cas. Enfants des années 90, vivant dans le sillon des années 80, notre objet de collection sera donc le jardin pavillonnaire des années 80. Il sera l’occasion de réinterroger des modes considérées comme triviales, démodées ou populaires. Ce jardin sera aussi l’occasion de regrouper la collection personnelle de nos souvenirs d’enfance.

 

Dans la collection de nos souvenirs, notre premier jardin. Le mien était simple, un peu de pelouse, une allée de dalles préfabriquées pour mener au petit portillon de fer qui concluait l’allée.  Petit, je ramassais les fraises des bois et les framboises au pied du grillage pour en faire un dessert. Je jouais sur la balançoire à celui qui irait le plus haut. La pelouse était riche de marguerites, de sauterelles et du chant des avions qui passaient au dessus de chez moi. Ma mère avait les cheveux courts, et insistait pour que mon père abatte le gros sapin qui prenait trop de place. Chez ma grand-mère, une grande collectionneuse de plantes, les fleurs de l’époque sont encore là : les myosotis,  les jacinthes, les pâquerettes, les tulipes, les pensées, les oeillets d’inde et les fushia. L’inestimable jardin ouvrier prend de la place. Les clapiers à lapins sont accolés à la bordure béton qui le délimite. Le « round-up » et tous les gadgets sont rangés au garage.

Années 1980, période où les mjardineries explosent et où, paradoxaleent, on commence à commercialiser des graines non fertiles. C’est l’époque du plastique, de la pop, des consoles vidéos. C’est aussi l’epoque des forsythias jaune, des aucubas à points, des conifères bleus et des pavés autobloquants rouges. Les couleurs sont saturées, les végétaux simples d’entretien, le jardin est presque figé. Le besoin de nature se transpose dans un jardin plastifié.

Aujourd’hui la nature sauvage, la friche, les prairies, les graminées et les « mixed borders » sont les nouvelles normes esthétiques. Ils incarnent nos idéaux contemporains de la nature. Les conifères rampants, les géraniums, les chrysanthèmes, ont été jugés trop grossiers et sont peu à peu bannis de nos jardins. Victimes de nos considérations, ces végétaux aux couleurs criardes n’existent plus qu’à titre de reliquats de cette époque passée. Dans les années 80, pas d’hypocrisie, la nature achetée est clairement distinguée des plantes spontanées qui ne feraient qu’une bouchée du coloriage de nos extérieurs. Lors de la conception de ce jardin, notre volonté est d’utiliser et d'associer des plantes communes et dénigrées pour être les redecouvrir comme des plantes extraordinaires.

 

L’esthétique du jardin des années 80 est ambivalente. C’est la résultante d’une volonté urbaine de posséder sa maison et son morceau de terrain en campagne, mais l’esthétique du jardin est déconnecté du territoire environnant. Elle est devenue une esthétique identitaire de la zone pavillonnaire.
Nous aimons ce jardin, car il est simple et rationnel. Les éléments préfabriqués et peu couteux participent au désordre des ajouts successifs, à la logique des besoins simples et immédiats de la vie. Dans ces jardins de l’économie, le tracé simple et les matériaux industriels viennent s’ajouter de manière hasardeuse au fur et à mesure des besoins du propriétaire. Une place de parking pour garer sa voiture, un balançoire pour les enfants, une table en plastique avec des chaises qui s’empilent pour manger dehors.


Le jardin quotidien de nos petits pavillons est un jardin de série toujours constitué des mêmes éléments. C’est une pièce de collection à la fois unique et représentative d’une époque.

Notre parti pris ne correspond pas au canon de conception d’un jardin novateur. Nous pourrions choisir des matériaux à la pointe de l’innovation et ne rien faire de neuf, de beau ou de choquant. Mais notre mise en scène d’un passé récent, à peine digéré et trop naïvement décrié, est résolument contemporain.Le jardin que nous concevons ne doit pas se limiter à un pâle plagiat du jardin pavillonnaire des années 80, mais véhiculer notre interprétation de ce jardin comme objet de collection. Ill faut que notre jardin soit muséifié. Il sera à l’image du jardin plastifié décrit précédemment. Il est une œuvre d’art qui s’inscrit dans un mouvement artistique.

 

L’hyperréalisme et le nouveau réalisme, nous ont inspirés dans nos choix de mise en scène.C’est le réalisme quasi photographique du jardin, qui le rend si propre, si aseptisé qu’il en paraît faux qui nous a rapproché du premier mouvement. Dans les oeuvres de Hopper ou du  sculpteur Honson avec « Supermarket Lady », il se dégage à chaque fois un mal être, une sorte de peur, un côté intimidant lorsque l’on se retrouve devant l’oeuvre représentative d’un quotidien figé. Dans notre jardin c’est le coté plastifié de la nature que nous voulons ainsi faire ressentir. Les grand aplats vert de la pelouse, les couleurs tranchés des fleurs, une flaque d’eau présente à tout moment de la journée et quelque soit le temps, la chute des feuilles figées en l’air par quelques invisibles ficelles. Chaque détail d’un quotidien arrêté dans l’instant sera présent pour pousser le visiteur à se questionner sur cette réalité qu’il a connu. Seuls manqueront les protagonistes et propriétaires de jardin qui semblent avoir disparus alors même que les jouets sont encore sur la pelouse et les verres sur la table.

 

bottom of page